Paru en 2021, votre livre Les Mots défendus raconte avec une transparence émouvante votre voyage au cœur de la « planète cancer ». Votre marrainage cette année à l’Institut Curie fait-il écho à ce même désir de libérer la parole autour de la maladie ?
Clémentine Célarié : Communiquer sur cette expérience de vie me tient très à cœur. Je fais exprès de ne pas employer le mot « malade ». Je le trouve nul. Je préfère parler d’étape ou d’évolution sur le chemin de l’existence. Il s’agit plutôt pour moi d’un voyage qui inclut la notion d’horizon, d’espoir permanent. En me sollicitant pour la 20e édition de l’opération « Une Jonquille Contre le Cancer », l’Institut Curie m’offre la chance de m’exprimer sur le sujet et, je l’espère, d’aider avec mes moyens ceux qui sont touchés.
Comment l’idée – ou l’envie – est née d’en faire un livre ?
Avec la chimio, j’étais tellement diminuée, tellement amorphe que je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose pour ne pas rester dans cet état. Comme je n’avais pas la force de m’asseoir pour écrire, je me suis mise à enregistrer des mémos en racontant mon quotidien au public que j’avais quitté pour suivre le traitement. Je pense que là, c’est mon obsession de la créativité qui a pris le dessus. Je n’ai pas eu besoin ni envie de me « répandre » ; je voulais me mettre dans une dynamique de création. Je pense sincèrement qu’un projet créatif peut guérir beaucoup de choses. Il donne un but, offre une projection dans le futur. C’est comme une claque qu’on met tous les jours au cancer.
Quand l’annonce de votre cancer du côlon est tombée, vous n’avez rien dit à votre entourage privé et professionnel. Pourquoi ce silence ?
Au début, j’ai voulu protéger ma famille ; je ne voulais pas qu’elle ait peur. Si ensuite j’ai tardé à en parler publiquement, c’est que l’on m’a vivement déconseillé de le faire. On m’a dit de me taire, de ne pas écrire là-dessus au risque de faire fuir les gens ou de ne plus avoir de travail. J’ai été très déçue de cette réaction. C’était ma vie, mon cancer ; j’avais le droit d’en faire ce que je voulais. Même d’en parler sans tabou si ça pouvait aider les autres.
Vous avez dit avoir accueilli le choc de l’annonce en rigolant !
C’est vrai ! La première image qui m’est venue a été celle d’un cow-boy habillé en noir qui me faisait signe de sortir du saloon pour régler nos comptes. Comme le médecin m’avait dit que la tumeur était opérable, ça m’a donné encore plus la niaque pour la combattre. Pour moi, le cancer ce n’est pas la mort, c’est le combat. De toute façon, la vie est un combat, et là, c’en était un costaud.
L’écriture a-t-elle aussi nourri votre combativité ?
J’ai surtout pensé qu’en parlant de mon cancer, je brisais un tabou, et c’est ce que je voulais faire. Je n’ai pas cherché à me poser en exemple de quoi que ce soit, mais plutôt à ouvrir le bal pour encourager les autres à parler. À côté de ça, il y avait dans ce projet d’écriture quelque chose de très personnel et un peu égoïste. Il me permettait de me mettre en mode survie, il m’aidait à rêver – comme le font tous les projets artistiques – en transcendant la réalité. En tant qu’actrice, je suis aussi ancrée dans le concret que dans l’imaginaire. Et je n’ai pas cessé de nourrir cet imaginaire. Je rêvais par exemple que j’étais un gros bateau rempli d’un tas de gens qui ramaient dans mon ventre pour me faire avancer vers la guérison. Et ça m’a beaucoup aidée, j’en suis sûre. Donc, je pense que ça peut aider les autres.
Face à la maladie, comment avez-vous réussi à mettre la peur de côté ?
C’est peut-être de l’inconscience de ma part mais je n’ai jamais eu peur. Ni de ne pas m’en sortir, ni de souffrir ou de quitter ceux que j’aime… Je n’ai pas pensé à ça, comme si mon esprit occultait tout ça pour me protéger et me laisser concentrer toutes mes forces sur les coups que je voulais donner au cancer.
Par rapport aux autres combats professionnels ou privés que vous avez déjà menés, celui de la maladie vous a-t-il changée davantage ?
Chaque épreuve fait grandir à sa manière, mais on peut dire qu’avant, j’avais reçu des « claquounettes », alors que le cancer, c’est une vraie beigne. La guérison est un chemin extraordinaire très différent pour chacun d’entre nous. En ce qui me concerne, je pense que je suis devenue empathique à l’extrême. J’étais déjà très excessive face à l’injustice sous toutes ses formes. Je le suis encore plus. Je me réjouis aussi davantage de plein de petites choses ! Ne serait-ce que d’avoir la chance de pouvoir marcher dans la rue sans avoir le bout des doigts et la bouche qui picotent ou se figent à cause de la chimio.
La féminité aussi subit les effets secondaires de la chimio…
On ne parle pas assez de l’après-cancer, et je le déplore. Par rapport à la féminité qui est complètement ébranlée, il y a toute une considération de soi-même qu’il faut totalement reconstruire. On repart d’une page blanche. Il y a comme une renaissance, un apprentissage de soi-même qui est d’ailleurs beaucoup plus long que je ne le pensais. Une fois que l’on est guéri physiquement, il faut que l’on se rétablisse mentalement. Pour moi, cela passe par l’action, la créativité, le travail, le sport…
Êtes-vous plus à l’écoute de votre corps qu’avant ?
Beaucoup plus, et quand il m’arrive de tirer un peu trop sur la corde, mes amis me rappellent à l’ordre. C’est la première fois que j’en parle mais un cancer du côlon oblige ensuite à faire très attention à ce que l’on mange. Je ne bois plus du tout d’alcool et je jeûne régulièrement. Ne faire que boire pendant quelques jours contribue à ma guérison mentale. Je m’en suis rendu compte ce matin : la diète me réconcilie avec mon corps et me fait me sentir vivante.
La jonquille a 20 ans
Depuis 2004, plus personne ne voit la jonquille comme une simple fleur printanière mais comme l’emblème de la recherche contre le cancer. Mise à l’honneur chaque année, en mars, par l’éminent Institut Curie, elle illustre différents événements qui permettent de récolter des fonds. Fêtant dignement ses 20 ans avec un florilège de jolies surprises, cette édition est aussi l’occasion de faire le point sur les avancées permises
grâce, notamment, aux dons, et sur ce qui se prépare pour les vingt prochaines années. Et de rappeler l’importance de la prévention : plus tôt une tumeur ou une récidive est détectée, plus grandes sont les chances de guérison.
« Une Jonquille Contre le Cancer », du 12 au 24 mars 2024. Renseignements : unejonquillecontrelecancer.fr
Seule en scène
Après avoir triomphé au Festival d’Avignon en juillet dernier, Clémentine Célarié installe sa pépite théâtrale sur la scène parisienne. Avec son jeu magistral, elle donne vie à Gabrielle de Miremont, une aristocrate nonagénaire connue des lecteurs de David Lelait-Helo pour être la mère calomniée et meurtrie d’un prêtre pédophile.
Je suis la maman du bourreau, adaptée et mise en scène par Clémentine Célarié, les mardis et mercredis à 19 h, du jeudi au samedi à 21 h, et les dimanches à 15 h au Théâtre de La Pépinière, à Paris, jusqu’au 4 mai.