Alors que l’obésité ne cesse d’augmenter (environ 8,5 millions de personnes, aujourd’hui, en France), la stigmatisation et la discrimination persistent. Un état de fait pointé par le Pr Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé (HAS), à l’occasion de la 4e Journée mondiale de l’obésité, le 4 mars dernier. Dans les derniers parcours de soins des personnes en surpoids ou en situation d’obésité – adultes, enfants, adolescents –, la HAS incite les professionnels de santé à avoir une approche plus empathique, basée sur l’écoute et l’accompagnement pour prévenir et dépister la stigmatisation mais aussi l’autostigmatisation (voir l’avis de l’experte).
Moqueries et insultes
Comme l’explique Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO), dans son récent ouvrage* émaillé de témoignages de personnalités, être en situation d’obésité, c’est être en butte aux réflexions offensantes, aux moqueries et même aux insultes, y compris en famille. Or, les reproches et les commentaires désobligeants qui culpabilisent, humilient et isolent ne font qu’accentuer la souffrance des personnes concernées. Des attitudes et des comportements discriminants en partie dus à une méconnaissance des mécanismes de l’obésité et à des préjugés bien ancrés : « Si l’on est obèse, c’est parce qu’on se gave et qu’on n’a pas de volonté. Il suffirait d’arrêter de bouffer et d’aller courir pour maigrir. » Mais la réalité est bien plus complexe. Car l’obésité est une maladie à part entière et multifactorielle. Il n’y a pas une mais des obésités. « Chacun a son histoire et ses particularités, ses facteurs de risque et ses déclencheurs de prise de poids progressive », indique la fondatrice du CNAO.
Des mots lourds de sens
La discrimination est définie par le fait de séparer un groupe de personnes des autres – selon l’origine, l'orientation sexuelle, le handicap, l'apparence physique, etc. – en les traitant plus mal (accès à l’emploi, transports, harcèlement, etc.).
La stigmatisation est l’action de chercher à déconsidérer une personne. À l’origine, discriminer signifie « marquer au fer rouge ».
La grossophobie, terme aujourd’hui présent dans le dictionnaire, regroupe les attitudes et les comportements hostiles ou méprisants qui discriminent et stigmatisent les personnes en surpoids ou obèses.
Chercher les causes
L’alimentation joue un rôle majeur : la disponibilité généralisée d’aliments ultrariches en graisses, sucres et sel, de mauvaise qualité nutritionnelle mais peu chers, associée à un marketing omniprésent et trompeur prônant le « prêt à manger » favorise la prise de poids. La nourriture, surtout sucrée et grasse, est aussi un refuge, « un doudou consolateur » face aux difficultés et aux agressions multiples du quotidien. Deuil, traumatisme, stress, maltraitance, violences ou carences affectives – parfois dans l’enfance –, humiliation, honte, ennui peuvent pousser à manger pour atteindre une consolation immédiate, ce qui engendre bientôt prise de poids, mal-être et perte de confiance, incitant à se tourner de nouveau vers la nourriture pour apaiser ces sentiments négatifs. Un cercle vicieux s’instaure alors, preuve qu’il ne faut pas se contenter de dire « il n’y a qu’à », mais commencer par rechercher l’origine de la prise de poids.
D’autres facteurs peuvent aussi expliquer l’obésité : manque d’activité physique et temps passé devant les écrans, travail en horaires décalés, manque de sommeil, génétique (à mode de vie identique nous ne sommes pas tous égaux), composition du microbiote intestinal, médicaments (corticoïdes, neuroleptiques, lithium, etc.) et, bien sûr, régimes à répétition qui font finalement grossir…
L’avis de l’experte : Se dénigrer soi-même
« Le regard sans empathie des autres finit par générer une autostigmatisation. La personne qui souffre d’obésité donne alors raison à ceux qui la stigmatisent et elle se dénigre : c’est vrai, elle est moche, elle n’a pas de volonté, c’est sa faute, elle a honte… Elle ne cherche plus à être coquette, elle refuse de se rendre dans une salle de sport ou à la piscine alors que ce serait bénéfique, elle ne sort plus et s’isole. Une autostigmatisation qui peut perdurer après une perte de poids, ce qui est mon cas. Il y a 25 ans, je suis passée de 150 à 94 kg après une chirurgie bariatrique, mais je me vois toujours comme très obèse, hors normes. Dans les magasins je regarde d’abord les tailles, aujourd’hui trop grandes pour moi, je ne m’assieds pas sur des sièges standards, etc. »
Le culte de la minceur
« On ne se réveille pas un matin en se disant : “Aujourd’hui, je vais rajouter 50 à 70 kg à mon corps, exposer ma santé à de gros risques, être exclue de la société et humiliée, voire harcelée quasi quotidiennement par les petites phrases et regards assassins.” […] L’obésité n’est pas un choix », résume Anne-Sophie Joly dans son livre-manifeste. Pourtant, la société rejette et exclut les personnes en surpoids et obèses comme si elles étaient seules responsables de leur état. « La société n’aime pas les gros. » Le terme « grossophobie », vulgarisé dans les années 1990 par Anne Zamberlan, fondatrice de l’association Allegro Fortissimo et autrice de Coup de gueule contre la grossophobie, ne renvoie pas à une peur des personnes en surpoids ou obèses, comme pourrait le laisser penser le suffixe -phobie, mais à une antipathie violente, voire une aversion. Un rejet qui est la conséquence du culte de la minceur, une survalorisation des corps très minces dans la mode et les médias.
Le monde du travail n’est pas non plus épargné par la grossophobie, comme le racontent Marie Citrini, usager expert auprès de la HAS, et Anne-Sophie Joly. Toutes deux ont été discriminées et freinées professionnellement : on leur disait qu’elles nuisaient à l’image de leur entreprise. Aujourd’hui, cette discrimination est plus insidieuse mais toujours bien présente, tant du côté des employeurs que des collègues, du fait de stéréotypes qui perdurent : les obèses sont souvent perçus comme moins compétents et moins courageux, donc moins fiables. L’obésité est encore un véritable obstacle à l’embauche sans que ce soit clairement exprimé, et constitue un handicap dans la progression professionnelle.
Des cours d’empathie
Les choses bougent un peu, cependant. D’importantes sociétés comme L’Oréal, Axa ou encore Sodexo évoluent sur cette question. À la télé et au cinéma, on voit davantage de personnes en situation d’obésité sans qu’elles soient moquées et ridiculisées. Mais il y a encore beaucoup à faire. À l’école aussi, où les enfants en surpoids sont trop souvent humiliés, battus, harcelés. Des cours d’empathie pour apprendre aux élèves à respecter et accepter les différences ont été mis en place dans un millier d’établissements et seront généralisés à la prochaine rentrée scolaire. Une initiative approuvée par Marie Citrini et Anne-Sophie Joly, car la grossophobie commence dès la petite enfance. Au Danemark, où ces cours (1 heure par semaine pour les élèves de 6 à 16 ans) existent depuis 1993, le harcèlement scolaire a chuté.
* Je n’ai pas choisi d’être gros.se, coécrit avec Richard Zarzavatdjian (Solar, 18,90 €).
Comment réagir ?
- En cas de discrimination, illégale en France et inscrite dans le Code pénal (article 225-1), s’adresser au Défenseur des droits (defenseurdesdroits.fr).
- En cas de harcèlement à l’école, appeler le 3018 et s’informer sur education.gouv.fr « Mon enfant est victime de harcèlement ». À savoir : un nouveau règlement (décret n° 2023-782 du 16 août 2023) oblige désormais l’élève harceleur, et non plus l’enfant harcelé à changer d’établissement scolaire.
Infos utiles
- Collectif national des associations d’obèses (CNAO) : cnao.fr
- Poids Plumes France. Sur Facebook et Instagram. Site en cours de construction.
- Ligue nationale Contre l’Obésité : liguecontrelobesite.org ; plateforme d’écoute spécialisée Obécoute : 04 48 206 206, numéro vert (gratuit).
- Le Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (GROS) : gros.org