Voilà un concept qui intrigue et qui peut dérouter. En fait, la médecine – ou santé – intégrative est une approche qui intègre, dans la médecine conventionnelle, des pratiques de soins complémentaires scientifiquement validées, de l’ostéopathie à la phytothérapie en passant par l’activité physique et la méditation de pleine conscience, par exemple. Objectif : améliorer la qualité de vie et le bien-être des patients.
Toutes les composantes de la santé
Comme leur nom l’indique, il s’agit d’utiliser ces thérapies complémentaires « avec » la médecine classique mais jamais « à sa place » : les pratiques de soins complémentaires ne se substituent pas à la médecine scientifique, elles l’accompagnent, la renforcent, la complètent. On s’est en effet aperçu – patients et professionnels de santé – que si les traitements chirurgicaux et médicamenteux ne cessent de progresser et guérissent ou soulagent de plus en plus de pathologies, ils ne répondent pas à tout et laissent de côté les autres composantes de la santé. La santé n’est pas seulement l’absence de maladie et d’infirmité mais « un état complet de bien-être physique, mental et social », selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Or, c’est un constat, le système de santé français se préoccupe plus des maladies aiguës et des actes techniques que des patients eux-mêmes. Et ne prend pas en compte la santé dans toutes ses dimensions : physique, psychologique, émotionnelle, sexuelle, sociale et environnementale.
Au cas par cas
La santé intégrative est aussi une démarche permettant à chacun d’intégrer dans son quotidien des pratiques de santé de façon autonome et personnalisée pour se sentir mieux. Le principe étant que chaque individu est – en bonne partie – responsable de sa santé et à même de la prendre en charge globalement. À chacun de trouver, avec des professionnels formés à la médecine intégrative, les pratiques et/ou les produits additionnels qui lui conviendront et l’aideront à mieux supporter des traitements lourds, à prévenir des rechutes ou des crises, mais aussi, au-delà, à préserver ou entretenir sa santé.
Il ne s’agit donc ni d’une nouvelle médecine ni de l’un de ces mouvements pseudoscientifiques lancés par des charlatans, mais d’une autre façon de soigner, plus humaine et centrée sur l’individu, prenant en compte la personnalité, le mode de vie, les besoins, les aspirations.
Pour s’informer
Le site d’Allié Santé*, société coopérative d’intérêt collectif à but non lucratif, partage des informations fiables sur la médecine intégrative. Entre autres, à l’aide d’un petit film avec des explications de médecins et des témoignages de patients.
Attention !
Sur les quelque 400 pratiques non médicamenteuses et complémentaires revendiquant des effets bénéfiques, seules certaines ont une efficacité reconnue dans certains troubles ou pathologies (douleurs, stress, dépression, etc.). Ostéopathie, relaxation, yoga, activité physique, cohérence cardiaque, méditation de pleine conscience, hypnose, phytothérapie, etc. Mieux vaut se renseigner auprès de professionnels de santé spécialisés en santé intégrative.
Cancer : le renfort des thérapies complémentaires
Chez nous, la médecine intégrative en est encore à ses débuts. En revanche, aux États-Unis, où elle s’est développée dès les années 1990, elle est entrée dans les mœurs. Les pionniers : deux professeurs de médecine qui considéraient que la médecine occidentale était dans une impasse et ne tenait pas compte de l’évolution des modes de vie (alimentation déséquilibrée, manque d’activité physique, etc.). Lesquels peuvent être, comme nous le savons, à l’origine de différents problèmes de santé ou constituer des facteurs aggravants.
Une spécialité américaine
Pour eux, il fallait inventer une approche plus adaptée à notre époque. On comprend que la médecine intégrative se soit tant développée aux États-Unis, pays où les « maladies de civilisation » – obésité, diabète, maladies cardiovasculaires et respiratoires, cancers – font des ravages et où la médecine conventionnelle est insuffisante. La médecine intégrative est d’ailleurs remboursée par le système d’assurance-santé Medicare et plusieurs assurances privées. Elle est également une spécialité médicale à part entière enseignée dans une trentaine d’universités. Les grands centres de lutte contre le cancer ont été les premiers à créer des départements de thérapie intégrative. Aujourd’hui, la moitié des cliniques américaines, dont la prestigieuse Mayo Clinic, prennent en charge aussi bien le stress que l’obésité et les maladies chroniques de façon intégrative. Le Canada et l’Australie ont suivi.
En Europe, la référence est la Suisse, qui a développé depuis de nombreuses années, dans les hôpitaux comme dans les cliniques, plusieurs pratiques de soins complémentaires comme l’acupuncture et l’homéopathie. Les autres pays sont, eux, peu avancés, à l’exception des pays nordiques et de la Grande-Bretagne, mais aussi de l’Allemagne où le très réputé hôpital de la Charité de Berlin utilise la phytothérapie, la naturopathie… et même la médiation animale (chats) en gériatrie.
Yoga, hypnose, nutrition, art-thérapie…
En France, c’est en cancérologie que la médecine intégrative a fait son entrée. Ce que l’on appelait il y a quelques années « soins de support ou de confort », destinés à soutenir les patients sous chimiothérapie ou radiothérapie et à améliorer leur qualité de vie, se développent et se diversifient. Près de Paris, l’Institut Rafaël, premier centre européen de médecine intégrative, fondé par quatre oncologues, propose gratuitement* à des patients traités pour un cancer toute une palette de thérapies complémentaires, assurées par 30 médecins et 70 soignants : sophrologie, hypnose, naturopathie, acupuncture, ostéopathie, massages, yoga, kinésithérapie, homéopathie, activité physique adaptée, onco-esthétique, ateliers de cuisine, etc. Les effets délétères du cancer étant encore démultipliés par les traitements lourds, longs, et aux nombreux effets indésirables (nausées, fatigue, douleurs, sommeil perturbé, etc.), pour les surmonter, les malades ont besoin d’être épaulés. Les thérapies complémentaires visent précisément à atténuer ces désagréments et à accroître les chances de succès des traitements et de guérison en aidant les personnes à gérer leurs émotions, à se réapproprier leur corps et à retrouver un équilibre. Mais parce que chaque patient et chaque cancer sont uniques, les parcours d’accompagnement sont personnalisés.
Les grands centres de lutte contre le cancer présents sur le territoire ont également lancé des programmes de thérapies intégratives (nutrition, sport, art-thérapie, ostéopathie, acupuncture, etc.) : Centre Léon-Bérard à Lyon, Institut Bergonié à Bordeaux, Institut Curie à Paris et Gustave Roussy à Villejuif. Fin 2019, le Groupe hospitalier Saint-Vincent de Strasbourg a ouvert le premier hôpital de jour de soins intégratifs en oncologie.
L’avis de l’expert : Le patient, acteur de sa guérison
« Associer à la médecine classique des pratiques de soins complémentaires est une réponse à notre mode de vie moderne (malbouffe, sédentarité, stress, pollution…), pourvoyeur de maladies chroniques. Les techniques, la chirurgie et les médicaments ont fait d’énormes progrès, mais ils ne suffisent pas. Pour améliorer la qualité de vie des patients, tant physique que psychique, un accompagnement personnalisé et des approches différentes sont nécessaires. En s’appropriant ces pratiques, le patient devient ainsi acteur à part entière de sa guérison et de son bien-être. »
Témoignage : J’ai repris goût à la vie
Geneviève, 67 ans
« Depuis des années, je souffrais de douleurs chroniques qui altéraient mon quotidien mais aussi mon moral. Dans l’unité de santé intégrative que l’on m’avait conseillée, on m’a écoutée puis proposé des activités physiques et des soins adaptés à mon cas. Au début, je ne croyais guère à leur efficacité mais aujourd’hui, je prends moins d’antidouleurs et plus du tout d’antidépresseurs. J’ai repris goût à la vie. »
Pour les maladies chroniques aussi
Des structures comme le CHU de Nice recourent à l’hypnose, la méditation, l’aromathérapie, la relaxation, l’acupuncture et l’art-thérapie (danse, sculpture, musique, peinture, etc.) pour mieux prendre en charge les patients traités pour un cancer mais également ceux qui souffrent de dépression ou de douleurs chroniques. À Orthez, le centre hospitalier propose également des soins d’accompagnement de la maladie (SAM) aux personnes ayant un cancer ou une maladie chronique.
À l’hôpital
De fait, l’intérêt de la médecine intégrative ne se limite pas au cancer. Même si ce n’est pas encore fréquent en France, de plus en plus d’hôpitaux proposent des thérapies complémentaires pour d’autres pathologies. Le CHU de Bordeaux, par exemple, a ouvert un Institut de médecine intégrative et complémentaire (Imic) rattaché au pôle des Neurosciences cliniques. Depuis 2022, des praticiens formés proposent au personnel soignant des programmes de méditation de pleine conscience et d’hypnose thérapeutique afin qu’ils prennent soin d’eux pour une meilleure qualité de vie au travail et en prévention des risques psychosociaux, ainsi que des formations pour leur permettre d’appliquer ces pratiques. Des programmes sont en outre mis en œuvre pour les patients souffrant de maladie de Parkinson et de douleurs chroniques.
Dans des centres privés
D’autres initiatives ont vu le jour dans le secteur privé. À Dunkerque, la Maison des soins de support des Flandres, destinée aux malades du cancer, en affection de longue durée (ALD), aux seniors sédentaires, aux aidants, et aux personnes saines en prévention primaire. À Plouhinec, au Centre pluridisciplinaire de santé intégrative Ar Ruskenn, médecins et thérapeutes travaillent en synergie pour une prise en charge globale des patients dans un lieu unique.
Sept Centres Ressource accueillent des personnes touchées par le cancer et leurs aidants, souvent éprouvés et épuisés : à Montélimar, Saint-Avold, Montauban, Reims, Gap et, le premier, à Aix-en-Provence qui compte 800 à 1 000 inscrits chaque année. Si toutes ces thérapies complémentaires sont très appréciées par les patients, la question de leur prise en charge financière peut cependant se poser car l’Assurance maladie ne les rembourse pas et seules certaines mutuelles prennent en compte quelques-unes d’entre elles.
Médecins et pharmaciens
À la ville comme à la campagne, médecins et pharmaciens n’ont pas toujours le temps, ou l’envie, de pratiquer la médecine intégrative ou d’orienter leurs patients vers des professionnels formés. Or, les patients recherchent souvent des solutions complémentaires à leurs traitements pour les aider à gérer les douleurs, les effets secondaires ou leur anxiété. N’en trouvant pas, ils prospectent sur Internet et, hélas, tombent parfois sur des escrocs, car n’importe qui peut se déclarer sophrologue ou naturopathe, par exemple, sans avoir reçu de formation sérieuse. D’où la volonté des professionnels compétents de valider et d’encadrer ces pratiques complémentaires pour que le public sache à qui s’adresser. Des pharmaciens, comme Éric Myon, ont d’ailleurs choisi de travailler dans une démarche de santé intégrative. Notamment avec d’autres professionnels de santé, au sein de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui commencent à se développer. Le but : répondre le plus complètement possible aux besoins des patients.
L’avis de l’expert : Démarche volontariste
« Notre pharmacie délivre des médicaments classiques mais, comme elle est spécialisée en homéopathie, elle était déjà dans une démarche de santé intégrative : l’homéopathie traite en effet chaque patient dans sa globalité, pas uniquement la pathologie, et prend en compte tous les aspects de sa personne, sans lui nuire. En 2021, nous avons décidé de nous investir davantage en santé intégrative, de mieux conseiller les patients aussi bien sur les produits que sur les pratiques complémentaires de soins et de prévention comme le sport, la nutrition, la gestion du stress. Le tout avec le concours de professionnels de santé de l’arrondissement motivés : médecins, kinésithérapeutes, sages-femmes, diététiciennes, etc. »
* Cotitulaire de la pharmacie homéopathique de l’Europe.
Obligatoire en faculté de médecine
Un enseignement sur les thérapies complémentaires (résultats obtenus, limites et dangers éventuels), en option depuis deux ans, est désormais obligatoire pour les étudiants de deuxième cycle de médecine. Une avancée dont le Collège universitaire de médecines intégratives et complémentaires (Cumic) est à l’origine. Celui-ci regroupe des universitaires, des chercheurs, des chefs de service de centres antidouleur, rhumatologie, psychiatrie, etc. Les objectifs : évaluer scientifiquement les différentes pratiques complémentaires de façon à apporter des informations fiables aux professionnels de santé et développer des unités de médecine intégrative dans tous les hôpitaux.
Infos +
. Un livre
Se soigner avec la médecine intégrative d’Isabelle Célestin-Lhopiteau (HarperCollins Poche, 7,30 €).
. Centres et unités de médecine intégrative
Institut Rafaël, à Levallois-Perret (institut-rafael.fr) ; Centres Ressource à Lyon (centre-ressource-lyon.org), à Aix-en-Provence (association-ressource.org), à Plouhinec (arruskenn.com).